Photo : Michel Maubert
Avec Patrick, nous avons construit ce post essentiellement par des échanges à distance : je posais des questions par e-mail qui induisaient sa réflexion, parfois longue et, de ce fait, construite et profonde. Patrick est allé loin dans le passé - jusqu'à sa genèse créative, dans un voyage mnésique inédit - pour lui, comme pour la majorité d'entre nous. Par conséquent, nous avons là un document précieux de l'artiste qui s'est donné la peine aussi de commenter pour nous certaines de ses œuvres.
Notre premier thème de "conversation" tournait autour d'Henri Matisse car je venais de finir un tableau qui se trouve actuellement exposé à la Maison natale du peintre, dans l'Aisne. Patrick, après avoir loué les qualités de mon dessin - et du texte qui le décrivait - m'informait ainsi :
"Le séjour de quelques mois de Matisse en Polynésie a fortement fait évoluer le peintre, ce qui fit écrire à Louis Aragon : «Sans Tahiti, Matisse ne serait pas Matisse». A partir de 1937, jusqu'aux dernières créations et notamment à la chapelle du Rosaire de Vence, l’œuvre de Matisse est un remerciement mémoriel à ce que la Polynésie lui a appris : l'éclat de la lumière et l'intensité des formes visibles".
Je cherchais une ligne conductrice à donner à cet article. Je trouvais dans ses propos sur Matisse son attrait du voyage lié à l'art. Très bien, j'allais y revenir plus tard. Pour l'heure,il me semblait primordial d'aborder son style, celui qui m'avait tant touchée lorsque je découvrais son œuvre sur son site ou en vrai lorsque j'avais visité son exposition à la Galerie 361° à Aix-en-Provence, en décembre dernier.
Voici, sans commentaires, quelques unes de ses peintures sur l'un de ses thèmes récurrents : la ville
(cliquez sur les miniatures pour agrandir l'image)
Pour en savoir davantage sur son style, je lui posai la question suivante :
"Concernant ton univers pictural, connais-tu le peintre Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) ? En regardant l'ensemble de tes œuvres, sur ton site - notamment celles qui représentent le milieu urbain, l'architecture - je me suis sentie transportée dans une ambiance qui m'a rappelé sa dynamique de lignes croisées, de flous... c'est peut-être aussi une histoire de perspective... Je joins une capture d'écran sur quelques-uns de ses tableaux. Peut-être auras-tu envie d'en découvrir davantage... d'en dire un peu plus."
Oeuvres de Vieira da Silva
Voici sa réponse étonnante et amusante, à une question que j'avais posée timidement et qui, finalement, ne manquait pas de pertinence :
"Merci pour ta remarque à propos de Vieira da Silva. C'est en 2016 (je m'étais mis à peindre 5 ans plus tôt) qu'une amie artiste (Annie Géhand) sur un ton prudent m'a dit: "Patrick il faut que je te dise quelque chose mais je ne voudrais pas que cela influence ta peinture ; tes tableaux me font penser à ceux de Vieira da Silva, etc...". Je lui répondais que je ne connaissais pas ce peintre. La vue de ses tableaux sur internet a été un choc pour moi. La semaine suivante je me rendais au musée de Ceret (frontière espagnole) où se tenait une exposition de cette peintre".
Patrick Lesné à l'exposition de Vieira da Silva
Ceret, 2016
Je postais cette photo sur FB à mon retour et parmi les commentaires celui-ci: "Depuis le temps que je te dis de faire des grands formats". Quelques temps après nous partons avec des amis visiter Lisbonne. Le soir de notre arrivée on se réunit pour établir le programme. Je leur dis que pour moi, dès le lendemain matin ce sera le musée "Viera da Silva"; qui m'aime me suive... Donc, oui, maintenant, cette peintre je connais. Par contre je ne me suis jamais inspiré d'aucun de ses tableaux. Avec prétention je me dis parfois que j'aurais peut-être dû naître 50 ans plus tôt... Donc tu as vu juste".
Je lui répondais, avec un enthousiasme non dissimulé :
"Bonjour Patrick. J'adore ton histoire. J'ai hésité à te parler de Vieira da Silva mais je suis contente de l'avoir fait et ce sera posté sur le blog, si tu le veux bien. Je crois que, un peu à notre insu, nous avons commencé à créer l'article, d'autant plus que ton évocation de plusieurs lieux de voyage liés à la peinture me donne envie de te demander d'autres belles histoires dans ce cadre. En as-tu ? Avec des images ?"
Sa réponse dépassait la simplicité de ma question et nous apprenait davantage sur les débuts (glorieux) de l'artiste :
"Oui, j'ai pas mal voyagé durant ma vie. J'ai passé une partie de ma jeunesse en Algérie, j'ai travaillé pendant huit ans aux Antilles (installé en Guadeloupe), ma fille cadette vit à Tahiti depuis vingt ans et j'ai fait le voyage une dizaine de fois. J'en connais tous les archipels sauf les Gambiers mais on y pense. Aux Marquises j'ai pu voir la tombe de Gauguin. Et à part ça des voyages touristiques à travers le monde.
Mais rien ne me revient en mémoire qui puisse être en liaison avec ma peinture, sauf un séjour en Espagne lorsque j'avais 25 ans mais il ne s'agissait pas de peinture mais de sculpture.
A cette époque je finissais mes études à Paris et m'étais inscrit dans une école d'art plastique pour suivre des cours de sculpture. Le prof, Pedro Tramullas qui enseignait également à l'école supérieure des beaux arts de Paris est devenu mon maître et m'a proposé en 1975 de participer au premier symposium de sculpture organisé à Hecho en Espagne dans les Pyrénées. Nous étions accueillis (logés, nourris) par la ville et devions en retour laisser sur place notre œuvre réalisée dans un bloc de marbre de plusieurs tonnes, un gisement ayant été découvert dans les environs."
1er symposium de Hecho - Espagne
"ma sculpture au second plan; au premier "la main de la paix" de Tetsuo Harada"
"Ce symposium s'est poursuivi chaque été pendant une dizaine d'années en s'ouvrant à d'autres disciplines. Au résultat, un musée d'art contemporain entouré des sculptures du premier symposium, les sculptures des autres symposiums étant disséminées dans la ville.
Bien entendu ce fut l'une des plus belles expériences de ma vie; la vallée de Hecho est magnifique, la rencontre de ces artistes, dont certains déjà réputés, fut pour moi, amateur, l'occasion de me poser la question de savoir si mon avenir n'était pas dans la sculpture. Mais nombre de mes amis artistes de l'époque étaient dans la galère; j'ai donc choisi une carrière de cadre dans la fonction publique. A partir de ce moment j'ai arrêté toute activité artistique..."
Pour en savoir plus sur la valée de Hecho et sur les sculpteurs du 1er symposium:
Autres créations (bijoux et sculptures) de Patrick Lesné du début des années 70 :
Créations de Patrick Lesné (années 70)
Ci-dessous : "Une expo en 1974, à la galerie Manet qui était à l'époque une référence pour l'art contemporain. Une fierté pour moi d'y avoir exposé".
Expo à Gennevilliers - 1974
Quelle fabuleuse aventure artistique ! Je le remercie, le félicite mais je veux en savoir plus :
"Merci Patrick pour le récit et les photos de tes débuts en expression artistique. Quel succès ! Bravo ! Comment as-tu pu arrêter ?... Aussi, question qui m'intéresse grandement : y a-t-il un lien entre tes premières œuvres et celles de maintenant (de maturité, dirais-je). Que reflètent tes tableaux aujourd'hui qui puisse démontrer ce que tu es devenu ?"
"Bonjour Tereza, me revoilà... Réponse à ta première question "Comment as-tu pu arrêter ?" A la fin de mes études, alors que j'allais donc me lancer dans la carrière comme on dit, Pédro, mon maître de sculpture, a demandé à me parler. Il me dit que j'étais arrivé à l'heure du choix : la sculpture ou autre chose, mais que si je choisissais la sculpture ce ne pouvait être qu'à temps plein. J'étais complètement d'accord avec lui. J'ai rangé mes outils ce jour-là, définitivement. Peut-être ai-je fait le mauvais choix, je n'ai en tout cas aucun regret. Autre question : "y a-t-il un lien entre tes premières œuvres et celles de maintenant ?" Je suis persuadé que j'aurais pu peindre à 18 ans les tableaux que je réalise actuellement. Donc je ne sais pas d'où sortent les compositions que je réalise mais ce doit être quasiment génétique. Elles font penser à des paysages urbains ou industriels qui me fascinent effectivement pour de vrai. Lorsque j'étais tout jeune, 5 ou 6 ans, il paraît que je répondais "architecte" lorsque l'on me demandait ce que je voudrais faire plus tard. J'ai retrouvé des dessins que je faisais durant les études du soir lorsque j'étais collégien en pension. Le lien avec ce que je fais maintenant est évident". [ci-après]
"En 2018, j'ai même peint en format plus grand un petit tableau que j'avais fait vers 15 ans".
1964 "Voies ferrées" 2018
Patrick Lesné
"Cette impression de toujours faire la même chose est là chaque fois que je regarde un tableau que je viens de terminer ; c'est parfois pénible... Et donc, pour répondre à ta dernière question, je pense que mes tableaux d'aujourd'hui montrent ce que je suis depuis toujours. Mais quoi ou qui...?"
"Bonjour Patrick,
Lors de nos derniers échanges, la thématique était plutôt liée à la place du TEMPS dans ton parcours artistique. Alors, pour aborder l’ESPACE, comment expliques-tu l’écart qui existe entre ton lieu de vie actuel et tes fantasmes urbanistiques ? J’ignore si tu habites depuis longtemps à Meyrargues mais toi, l’amoureux inconditionnel des lignes droites, comment vis-tu les courbes des rues moyenâgeuses de ce village et celles des collines alentour - l’absence de la vue des gratte-ciels, des rails…? Et l’Océan, toi le Breton assumé malgré la distance de ton espace d’origine, que représentes-tu quand tu peints la mer – l ’Atlantique originaire, la Méditerranée d’adoption ou bien des eaux mythiques, imaginaires ?"
"Bonjour Tereza, Bien embêté depuis ton dernier message pour trouver quoi répondre à cette question de l'espace dans mes réalisations. Si je ne me trompe, tu veux parler de l'influence de mon environnement proche (Meyrargues) ou plus lointain (les océans) dans mon travail. Je crois qu'il n'y en a pas. En tout cas de façon consciente. J'habite depuis 40 ans à Meyrargues et de chez moi j'ai vue sur le château. Cela ne m'a jamais inspiré, comme les rues du vieux village dont tu parles d'ailleurs. Peindre sur le motif c'est pas mon truc. Certaines idées de tableaux me viennent lorsque j'ai les yeux fermés, dans le noir. Mon meilleur atelier serait peut être une cave obscure à peine éclairée? Certains peintres classiques utilisaient cette méthode pour produire des tableaux très lumineux. Et donc, en ce qui concerne ce paradoxe de peindre des villes lorsqu'on vit à la campagne, pas d'explication. Donc désolé, Tereza, mais je suis sec sur le sujet. Bises à toi."
"Bonjour Patrick,
Tu as parfaitement répondu à mes questions : tu peins les yeux fermés, comme tu l'écris."
Patrick Lesné dans son atelier de Meyrargues. Vidéo de Serge Faudin
"Pour la suite, plus de questions. Je pensais, en revanche, que ce serait bien de plancher un peu plus sur tes tableaux... je vois bien une sélection de deux ou trois œuvres - tes préférées - que tu commenterais..."
"Bonjour Tereza, Voici un petit texte écrit hier pour accompagner les photos de quelques tableaux. Je dis hier pour préciser qu'il n'est pas le fruit d'une longue réflexion sur mon travail. A sa relecture je reste perplexe; je ne sais pas si mon idée de peindre exprès mais de façon inconsciente des tableaux "inachevés" tient la route. J'ai donc rajouté un paragraphe d'avertissement au début : "Lors de la préparation de cette page, Tereza m'a demandé une présentation de quelques uns de mes tableaux accompagnée de commentaires. Exercice difficile pour moi car je ne me suis jamais posé de questions sur mon travail. Une remarque que l'on me fait régulièrement m'est alors revenue en mémoire: Pourquoi n'y a-t-il que très rarement des personnages dans mes tableaux? J'ai donc essayé de trouver des réponses à cette question et la relecture de ce que j'ai écrit me laisse encore interrogatif..." "Deux tableaux sans personnages et l'on peut se demander pourquoi effectivement : "l'arbre" et "Le réverbère"" :
"l'arbre" 40x50 - Patrick Lesné - 2014
"le réverbère" 40x40 - Patrick Lesné - 2016 "C'est en repensant à un exercice que m'avait donné à faire ma prof de peinture à mes débuts, que je vais peut être trouver un début d'explication aujourd'hui. Elle m'avait proposé, pensant que j'avais un blocage à représenter des personnes, de réaliser un tableau à partir d'une photo d'un quai de gare plein de monde. En fin de séance, alors que je lui montrais mon tableau terminé, elle me faisait remarquer que ma gare était vide, personne en vue. En fait, pour moi, elle grouillait de monde et j'entendais même le bruit de la foule. En regardant mon tableau avec ses yeux je réalisais qu'elle disait juste (là j'exagère un peu ..). Avec ce qu'il me restait de peinture sur la palette je rajoutais quelques ombres sur le quai de la gare,...pour lui faire plaisir..."
"la gare" 40x50 - Patrick Lesné - 2012 "J'ai donc, à plusieurs reprises, revécu cette expérience. Dans le tableau "l'arbre" ce dernier n'est pas, pour moi, isolé ou abandonné, mais représente le lieu où les habitants se retrouvent: les anciens à son ombre pour discuter, les enfants pour faire une ronde autour du tronc, il est le carrefour du quartier peut être. Et j'imagine ces scènes lorsque je le regarde. Idem dans "le réverbère" où je peux voir un couple dans sa lumière ou dans l'ombre d'un coin de mur de la place. Et rien de volontaire de ma part dans cette façon de faire. Peut-être s'agit-il de simplement peindre un décor de façon à laisser la place à mon imagination pour le compléter, le terminer? Peut-être aussi n'ai-je pas su aller jusqu'au bout de ma peinture? Parfois cependant, je vais un peu plus loin, et termine le tableau avec un ou deux personnages."
Dans le "joueur de flûte" [ci-contre], scène de guerre en nord Syrie, peut-être en Irak, sa présence indique que les destructions sont terminées, le silence est là, il est seul dans la ville, et n'a plus envie de jouer sa musique. Mais tout le monde ne l'a pas compris ainsi, à quelqu'un qui me demandait, par référence au joueur de flûte de Hamelin, où étaient les enfants, je répondais: tous morts dans l'école au mur de laquelle est adossé mon joueur de flûte." autres exemples:
"rencontre" 40x60 "valse urbaine" 40x80 "la scène" 60x80
(2017) (2016) (2016) "Un mot à présent sur un tableau réalisé pendant le confinement où le but était de montrer une ville déserte. Une fois terminé, donc sans aucun personnage représenté, pour moi ça ne collait pas. Le décor ne demandait qu'à s'animer comme expliqué avant, je voyais du monde dans la rue. Seule solution: enfermer les gens chez eux; j'ai donc placé des personnes aux fenêtres, aux portes, aux balcons des habitations. Le tableau était alors terminé, j'étais satisfait."
"restez chez vous!" 80x100 (2020)
Nous terminons ici cette rencontre avec Patrick Lesné. De ces entretiens, je garde l'impression d'avoir reçu un cadeau - celui de l'histoire de sa vie liée à son art, qu'il raconte si chaleureusement et qui restera accessible désormais à quiconque fréquente ce blog qui a eu le privilège de l'accueillir .
Je tiens juste à vous montrer quelques images d'expositions récentes de Patrick et les liens qui vous permettront de le connaître davantage.
C'était l'année dernière...
Pour en savoir plus sur Patrick Lesné ou pour le contacter :
Patrick Lesné Artiste peintre Meyrargues en Provence 06 81 35 46 35
lesne@orange.fr http://www.galerie-creation.com/patrick-lesne http://www.facebook.com/patrick.lesne.313 https://www.facebook.com/patricklesneartistepeintre https://www.artmajeur.com/patrick-lesne
Patrick Lesné est le grand ordonnanceur.
Le tableau d'architecture bleue, de Patrick Lesné :" Minuit" , m'a inspiré cette vision :" New York Midnight", avec la statue de la Liberté en ouverture.
La médiathèque des Carmes à Pertuis a été victime d'un peintre sauvage. Malheureusement pour lui, " l'artiste" a pu être identifié à cause de son style pictural. Monsieur " Patrick L." n'a pas contesté les faits et sera présenté devant la justice prochainement, date à laquelle, il communiquera sur sa future exposition légale.
Certains artistes inventent des papillons, et d'autres, comme Patrick Lesné, créent des chenilles. Une oeuvre vivante, unique et capable de métamorphoses.
Il y a longtemps que j'ai renoncé au pourquoi, la question n'a pas de réponse. J'admire:" La vieille ville", une des oeuvres de Patrick Lesné, et j'y vois le pont de Brooklyn. Faut vraiment que j'arrête les séries américaines !